LA SITUATION DES DALITS EN INDE, LA SOCIETE INDIENNE: STRUCTURE
REELLE, PRINCIPES CONSTITUTIONNELS,PERSPECTIVES
" Hors " de la société
: la situation des intouchables : La société indienne
se caractérise par sa division en castes, et ce malgré les avancées
constitutionnelles. Cette division se fait selon un double type
d'organisation lignagère et classificatoire : les Jâti,
appellation qui recouvre des espèces sociales auxquelles on appartient
de naissance et les varnas, nomenclature qui renvoie à des
fonctions : brahmanes (prêtres), Kshatriyas (guerriers), Vaishya
( marchands, commerçants, propriétaires fonciers), Shûdra, les serviteurs
des trois précédents dits " deux-fois-nés ". Chaque varna est donc
divisée en jatis en fonction du niveau social. La pérennité
de ce système est assurée par le respect d'une stricte
endogamie par jati. A la marge, hors de ce système des castes ,
se trouvent les " hors-castes ", les " parias ", les " intouchables
", ceux dont le contact est jugé si impur qu'ils doivent vivre dans
un espace séparé du village ou de la ville dont ils dépendent.
Par leur naissance, ils sont condamnés aux métiers les plus ingrats
et considérés comme " impurs " par l'idéologie brahmanique :
nettoyage des vêtements et des lieux publics, activités liées à
la crémation , travail du cuir… Quelles que puissent être les affirmations
des lois, l'intouchabilité marque profondément les mentalités et
se traduit très concrètement. Victimes du mépris de la société dans
laquelle ils vivent, asservis à un endettement perpétuel de génération
en génération (Rapport thématique de Mécanismes de la Commission
des droits de l'homme) (Cf. l'annexe) les intouchables se sont donné
un nom : Dalits, qui signifie " opprimés ".
L'application de la Constitution de
1950 : Les Dalits représentent 18% de la population
indienne, c'est à dire environ 170 millions d'individus privés
de dignitée. La constitution démocratique indienne de 1950 rédigée
par Ambedkar ( un des rares Dalits ayant eu accès à l'éducation
: voir article) abolit l'intouchabilité (art.17 de la Constitution),
proscrit la discrimination (art. 15), fixe un objectif de justice
sociale et d'égalité des chances par l'établissement de mesures
spéciales (sièges réservés pour la représentation politique et quotas
dans l'éducation et les emplois publics). Mais cinquante ans après
ces principes ne sont que marginalement appliqués, surtout
dans les campagnes. Les pressions sociales sont toujours là, l'accès
à l'éducation, et à la formation en général, même s'il est possible
constitutionnellement demeure un luxe. Ainsi les quotas ne profitent
qu'à de rares exceptions (qui en ont fait leur privilège bien
gardé), dont le président de l'Etat Indien (Mr Narayanan élu en
1997) est " l'exemple-alibi " par excellence.
De l'aliénation par la naissance à
la liberté par la connaissance: la démocratie en acte.
Les problèmes de l'inégalité sociale, de la pauvreté, de l'inadéquation
patente entre la constitution démocratique et la réalité peuvent
trouver une issue par la participation effective des plus démunis
aux pouvoirs économique et social. Dans leur grande majorité
les Dalits sont analphabètes, mais cela ne les empêche pas de porter
un intérêt grandissant à la politique et d'être les plus farouches
défenseurs des institutions démocratiques. Sur ces 20 dernières
années leur participation électorale s'est significativement accrue,
ce qui prouve l'espoir qu'ils mettent dans leur vote. Mais aujourd'hui
les Dalits sont souvent les otages politiques de mesures populistes
prises par les autres partis, le clientélisme les asservit à voter
pour ceux qui localement leur promettent des programmes sociaux
quel que puissent être leurs objectifs politiques par ailleurs. Quant
aux partis Dalits qui se sont formés ils sont trop fragmentés et
divisés pour pouvoir représenter fidèlement et efficacement la population
Dalit. L'enjeu est donc de faciliter leur promotion sociale par
l'éducation afin de les aider d'une part à accéder à des postes
de responsabilité, d'autre part à prendre conscience en tant que
groupe uni de leurs intérêts communs à moyen terme. C'est à ces
conditions qu'ils pourront se constituer une identité sociale
autonome et unifiée leur permettant d'être acceptés par la société
dans laquelle ils vivent.
LE RACISME, LA DISCRIMINATION RACIALE, LA XENOPHOBIE ET TOUTES
LES FORMES DE DISCRIMINATION
Système des droits humains à l'O.N.U : Bilan 1999 Rapport thématique
de Mécanismes de la Commission des droits de l'homme. Racisme
et discrimination raciale, rapport du Rapporteur spécial (E/CN.4/1999/15,
par. 88-100) 91.
Le terme "caste" dénote une distinction "sociale" et de "classe"
qui n'est pas fondée sur la race. Cette notion a ses origines dans
la division fonctionnelle de la société indienne jadis. Une
classification hiérarchique est la principale caractéristique du
système social qui, dès la naissance, confère à ses membres certains
privilèges ou leur impose certaines restrictions, ou qui ne sont
pas supposés être modifiés tout au long de la vie de l'individu.
Chaque caste dépend, d'un point de vue fonctionnel, des autres castes
et a un rôle bien défini dans un système social fondé sur
une relation symbolique entre des personnes appartenant à différentes
castes. La hiérarchie raciale apparaît comme un élément subsidiaire
aberrant de la structure fondamentale de la société, tandis que
le système social des castes, avec ses multiples segmentations et
sa classification complexe, a été l'élément central de l'organisation
fonctionnelle de la société hindoue. Il est amplement démontré en
outre que des personnes appartenant à différentes castes ont les
mêmes caractéristiques raciales.
93. La première énumération des anciennes communautés "intouchables"
a été effectuée à l'occasion du recensement entrepris en 1931 par
les autorités britanniques. à partir de la définition utilisée à
l'époque pour ce recensement et des rapports établis par plusieurs
comités et commissions depuis l'indépendance, le critère généralement
retenu pour déterminer que des communautés faisaient partie des
castes "énumérées" était l'arriération extrême, du point
de vue social et économique et du point de vue de l'éducation, résultant
de la pratique traditionnelle de l'intouchabilité".
98. Les organisations représentant les intouchables ou Dalits
reconnaissent les progrès accomplis en leur faveur depuis l'indépendance
de l'Inde, mais font valoir que la situation de ce groupe continue
d'être difficile. Selon ces organisations, si le taux d'alphabétisation
moyen en Inde (pour les hommes et pour les femmes, respectivement)
était de 63,8 % et de 39,42 % en 1992, pour les Dalits les chiffres
ne dépassaient pas 29,7 % et 18,05 %, respectivement (1). On dénombre
actuellement environ 115 millions d'enfants dalits qui travaillent,
dont 20 millions dans des conditions dangereuses. En outre, en 1996,
plus de 1 200 enfants dalits sont morts de malnutrition dans
l'état de Maharashtra (2). Selon diverses sources, les Dalits sont
plus souvent victimes de réinstallations forcées, de détentions
arbitraires et d'exécutions sommaires en Inde. Selon le Conseil
pour l'éducation et la libération des Dalits (Dalit Liberation Education
Trust), chaque heure deux Dalits sont agressés, chaque jour trois
femmes dalits sont violées, deux Dalits sont assassinés et deux
maisons dalits sont brûlées en Inde (3)
99. Dans les campagnes surtout, la pratique de l'intouchabilité
serait restée vivace et se manifesterait par la ségrégation de l'habitat,
les Dalits devant loger à un demi-kilomètre au moins du reste des
habitants du village, et par l'interdiction de l'accès aux puits,
qui sont la source d'eau commune. De plus, la ségrégation existe
aussi dans les écoles, les services et les lieux publics (commerces,
coiffeurs, transports; dans les restaurants, la vaisselle est parfois
séparée entre celle qui est réservée aux Dalits et celle qui est
utilisée par les castes supérieures).
100. Compte tenu, d'une part, des faits exposés ci-dessus et,
notamment, en se référant aux dispositions de la Constitution, en
particulier celles que cite le Gouvernement dans sa communication
du 30 septembre 1997, à savoir que "selon l'article 366 les castes
'énumérées' sont définies comme des 'castes, races ou tribus ou
parties ou composantes de ces castes, races ou tribus considérées
au sens de l'article 341 comme des castes 'énumérées' aux fins de
la Constitution'" et compte tenu, d'autre part, de ce que le Comité
pour l'élimination de la discrimination raciale, en formulant ses
observations finales sur les rapports périodiques de l'Inde, a déclaré,
à savoir que "la situation des castes et tribus défavorisées
relève de la Convention internationale sur l'élimination de toutes
les formes de discrimination raciale" (CERD/C/304/Add.13, par.
14), le Rapporteur spécial estime qu'il importe d'accorder une attention
particulière à la situation des intouchables en Inde; à cet effet,
une mission sur le terrain pourrait être envisagée avec l'accord
du Gouvernement indien.
Rapport de M. Maurice Glèlè-Ahanhanzo, Rapporteur spécial sur
les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale,
de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, conformément
à la résolution 1998/26 de la Commission des droits de l'homme.
(1) Thiagara, Henry. The Indian Socio-Economic Pyramid, Conseil
pour l'éducation et la libération des Dalits(2) Varhade Yogesh.
Déclaration faite à la Sous-Commission de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des minorités, Groupe de travail
sur les populations autochtones, quinzième session, 28 juillet -
1er août 1997, Centre Ambedkar pour la justice et la paix.(3) Conseil
pour l'éducation et la libération des Dalits. Déclaration faite
au Groupe de travail sur les minorités de la Commission des droits
de l'homme, 26-30 mai 1997.
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