Pierre de Charentenay s.j., Président du Centre de Sèvres
- Etudes, février 1994 (France)
La situation des dalits chrétiens est
exposée dans une brochure, Children of a lesser God, DCLM
Publication, Madurai,1992, écrit par le P. Antony Raj, jésuite
né en 1944, docteur en sociologie de l'Université
Loyola de Chicago, président du "Dalit Christian Liberation
Movement" de 1989 a 1992.
Le problème est particulièrement posé dans
le Tamil Nadu, l'une des plus importantes régions catholiques
de l'Inde. Là, comme ailleurs, les intouchables sont rejetés,
écartés, méprisés. Mais 65% des dalits
sont catholiques. Les responsables dalits posent de graves questions
sur cette proportion : pourquoi les intouchables n'ont-ils que 3,8%
des prêtres de la région, alors qu'ils représentent
les deux tiers de la population ? Pourquoi n'y a-t-il aucun évêque
dalit, alors que la région est le siège de 14 évêchés
? Dans l'exercice de la pastorale, les dalits font l'objet d'une
discrimination constante : lieux de communion séparés,
places réservées dans l'Eglise, cimetierres distincts,
etc. D'où la création du Dalit Christian Liberation
Movement en 1989, qui a tenté de se faire entendre par de
multiples manifestations : occupation d'églises, refus de
participer à des célébrations festives, jeûne
devant les résidences des évêques, etc. L'affrontement
commença dans le diocese de Pondicherry, en mai 1990, où
une assemblée du mouvement dalit fut interdite par l'archevêché.
Du coup, les dalits renvoyèrent plusieurs prêtres titulaires
de paroisses et demandèrent à des prêtres dalits
de venir célébrer les mariages dasn ces paroisses.
Les évêques expriment alors leur sympathie avec la
situation des dalits, mais désapprouvent les méthodes
utilisées : eux-mêmes ont tenté, à leur
manière, d'aider les hors-castes. C'est le sens de la lettre
pastorale de l'archevêque de Madras lue dans toutes les paroisses
le Mercredi des Cendres, 24 février 1993 : " Je presse
les prêtres de paroisse, les religieux et religieuses et toute
la communauté chrétienne de concentrer leur effort
parmi les chrétiens de castes pour les rendre plus sensibles
aux stigmates sociaux dont les classes marginalisées souffrent,
en raison de la structure de péché des castes. "
Certains chrétiens de caste ont bien vu qu'il existe un problème,
mais les solutions qu'ils proposent tardent à venir. C'est
pourquoi les dalits se font plus actifs, voire pressants, dans leurs
revendications. Ils s'inspirent de la théologie de la libération,
venue d'Amérique Latine, et veulent résoudre le conflit
par la pression et la manifestation, puisqu'il ne semble pas pouvoir
l'être par le dialogue. Marqués par analyse en terme
de classes, selon une tradition indienne où le marxisme demeure
significatif, ils s'orientent volontiers vers la protestation. L'action
des dalits devient ainsi les confluent de la théologie de
l'inculturation orientée vers le social et de la théologie
de la libération préoccupée ici par les conséquences
des pratiques culturelles du pays.
Les hautes castes chrétiennes se sont appuyées sur
le système social indiens des castes pour rejeter, consciemment
ou non, les intouchables dans l'oubli. Elles n'admettent pas une
remise en cause aussi radicale, prétextant que le mouvement
dalit divise l'Eglise par ses prises de position. Pour les intouchables,
au contraire, les mots castes et chrétiens sont antinomiques,
contradictoires, car le système des castes ne respecte ni
la liberté, ni la dignité de chacun. L'opposition
des langages montre le degré d'incompréhension entre
les protagonistes.
Les dalits et la contestation de la société
indienne
Mais le problème soulevé par les dalits chrétiens
dépasse largement l'Eglise. Ils remetttent en cause le système
socio-religieux de l'Inde sur lequel s'appuient les castes. L'Etat
a tenté de répondre à ces injustices par un
décret en 1947 abolissant ce système. Dès les
années 50, les premiers quotas garantissant une place pour
certains intouchables dans les administrations et les universités
constituaient un premier pas vers plus de justice sociale. Plus
récemment, le Premier Minisre a décidé de réserver
27% des emplois de la fonction publique aux hors-castes. Mais une
centaine d'étudiants de hautes castes (dont un trentaine
moururent) s'y sont opposé en s'immolant par le feu. On ne
change pas des milliers d'années de tradition par décret.
Mis à part quelques individualités, et malgré
les quotas toujours accordés aux intouchables, la réalité
n'adonc pratiquement pas changé. Elle reste profondemment
ancrée dans l'imaginaire collectif. L'intouchable est un
impur, il faut garder ses distances.
Un tel poids de tradition ne peut pas être soulevé
facilement. Ne pouvant forcer au changement un peuple majoritairement
hindou, les chrétiens intouchables ont alors tendance à
se retourner contre leur Eglise, milieu plus restreint, et qui devrait
être plus ouvert à l'appel de la dignité. L'enjeu
y est donc politique et théologique. Il est politique puisqu'il
s'agit d'une recherche de justice, d'abord dans l'Eglise ; il est,
plus fondamentalement, théologique dans la mesure où
les conséquences de la foi doivent être tirées
non seulement dans l'expression (inculturation) mais dans l'action.
Dans cette grande mise en cause, toutes les religions en Inde ont
un rôle à jouer. Elles ont dans ce pays un poids considérable.
Si, portées par les ambitions politiques, elles s'orientent
vers des luttes de pouvoir, elles seront des ferments de violence
et de division,ce que l'on commence à observer. Si, en revanche,
elles sont attentives, dans le dialogue, à développer
les valeurs qu'elles portent, elles peuvenet être la based'une
nouvelle justice. C'est ici que le combat des dalits prend son sens
et qu'une véritable réaction sociale, politique, culturelle
peut s'esquisser. Visant au respect de la dignité dans l'Eglise
catholique, ce combat veint interroger toute la société
indienne dasn sa pratique vis-à-vis des intouchables. Il
pose aux hindous la question de la relation de leur religion au
système social indien et donc aussi à la politique
Immense conséquence de l'inculturation, non sans rapport
avec les tensions actuelles entre les religions.
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