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Article de Christophe JAFFRELOT
 
Christophe JAFFRELOT
L'auteur introduit, pour nous, son livre :

"Doctor Ambedkar Cultural Academy : voici donc la signification de l'acronyme D.A.C.A. Dès lors, comment ne pas s'intéresser au personnage d'Ambedkar ? Leader politique intouchable et père de la Constitution indienne (qui abolit officiellement l'intouchabilité), Ambedkar est un homme d'Etat et d'action, autant qu'un penseur et un sociologue. Son combat contre le système des castes prend racine dans une analyse anthropologique de la société indienne. Un à un, il démonte les rouages de ce système, qui par son organisation interne légitime l'oppression des plus faibles, rendant la notion d'égalité impossible. Il commence par faire la généalogie de l'intouchabilité, pour démontrer qu'elle procède, en fait, de croyances aliénantes ( cf : mythe du Purusha Shukta ), qui ont façonné l'ensemble des relations sociales selon une dialectique révérence / mépris. Il en déduit que la spécificité du système social tient à ce qu'il appelle " l'inégalité graduée ", qui constitue un frein terriblement efficace au changement social et qui ne manque pas de s'opposer au système de la démocratie instaurée depuis 1947."

Ci-dessous, un extrait qui présente...
"L'inégalité graduée ", ressort du système des castes.
La notion d' " inégalité graduée " constitue certainement la principale trouvaille sociologique d'Ambedkar. Le Président de la République indienne depuis 1997, K.R. Narayanan, un intouchable proche du Congrès qui n'en a pas moins lu Ambedkar, le reconnaît implicitement en en retenant la définition suivante : " un ordre progressif de révérence et un ordre dégressif de mépris " (1). Si les basses castes ne renversent pas leurs oppresseurs c'est non seulement parce qu'elles ont en partie intériorisé la hiérarchie mais aussi en raison des caractéristiques mêmes de l' " inégalité graduée".
Ambedkar est un militant forcené de l'égalité sociale dont il a appris les principes et apprécié les bienfaits en Occident. Pour lui, toutes les valeurs de la République et de la Révolution française en découlent :

"La fraternité et la liberté sont en réalité des notions dérivées. Les concepts élémentaires et fondamentaux sont l'égalité et le respect pour la personne humaine. La fraternité et la liberté s'enracinent dans ces deux notions de base. Si l'on creuse davantage on peut dire que l'égalité est la notion originelle et le respect pour la personne humaine une de ses implications. A telle enseigne que, là où l'égalité est bafouée, tout le reste est également nié" (2).

Sa défense de l'égalitarisme à la française ou à l'américaine va naturellement de pair avec un individualisme forcené - qui se lit dans sa propre démarche personnelle, volontiers solitaire - mais aussi, bien sûr, dans sa critique d'une institution sociale - le système des castes - qui nie l'autonomie de l'homme pour ne voir que son groupe de naissance. Cependant, Ambedkar ne se contente pas d'opposer les sociétés individualistes aux sociétés holistes et l'égalité à l'inégalité : il distingue l'inégalité classique de l'inégalité graduée qui, selon lui, est au moins deux fois plus dangereuse (3). La notion d'inégalité recouvre en général une situation sociale où des groupes de taille importante s'opposent les uns aux autres : dans les sociétés industrielles la classe ouvrière peut ainsi se soulever contre la bourgeoisie, dans l'Ancien Régime, le Tiers Etat a pu se dresser contre l'aristocratie et le Roi etc.. Ce qu'Ambedkar explique c'est que le type d'inégalité dont souffre la société des castes est d'un autre ordre parce que sa logique divise aussi les groupes dominés, les empêchant ainsi de renverser l'oppresseur :

"Dans un système d'inégalité graduée, les opprimés ne sont pas au même niveau. [...] Il y a les plus élevés (highest) [les brahmanes]. En dessous de ceux­ci, il y a ceux qui sont très haut (higher) [les Kshatriyas]. En dessous, il y a ceux qui sont haut (high) [les Vaishyas]. En dessous il y a ceux qui sont bas (low) [les Shudras] et en dessous il y a ceux qui sont les plus bas (lowest)[les intouchables]. Tous ont à se plaindre de ceux qui occupent les sommets de la société et aimeraient provoquer leur chute. Mais ils ne mettront pas leurs forces en commun. Ceux qui sont très haut sont soucieux de se débarrasser de ceux qui sont au-dessus d'eux, mais ils ne veulent pas s'associer avec ceux qui sont haut, bas ou le plus bas de peur qu'ils s'élèvent et deviennent leur égaux. Celui qui est haut veut renverser celui qui est au-dessus de lui mais ne veut pas faire cause commune avec celui qui est bas ou le plus bas de peur qu'ils ne s'élèvent à son niveau et ne deviennent ses égaux. Celui qui est bas est désireux de faire chuter celui qui est le plus haut, celui qui est très haut et celui qui est haut, mais il ne veut pas faire cause commune avec celui qui est le plus bas de peur qu'il ne s'élève et ne devienne son égal. Dans un système d'inégalité graduée, il n'y a pas de classe complètement dominée, sauf celle qui se situe à la base de la pyramide sociale. Les privilèges des autres sont gradués. Même le bas jouit de privilèges par rapport au plus bas. Chaque classe se percevant comme relativement privilégiée, chacune d'entre elles est intéressée au maintien du système" (4). (…)

Au total, Ambedkar propose une théorie des castes qui annonce bien des aspects de l'anthropologie contemporaine : les castes n'existent qu'en faisant système ; les valeurs du brahmane informent la conduite de tous, et la preuve par neuf de ce holisme réside dans le mécanisme de la sanskritisation ; enfin et surtout, la hiérarchie des castes répond à une logique très spécifique d'inégalité graduée qui empêche les plus défavorisés de faire bloc contre les élites.

(1) K.R. Narayanan, " En souvenir d'Ambedkar ", Les Temps modernes, juillet 1993, p. 133.
(2) B.R. Ambedkar, " Philosophy of Hinduism ", in Dr. Babasaheb Ambedkar writings and speeches vol 3, Bombay, Government of Maharashtra, 1987, p. 66.
(3) B.R. Ambedkar, " Revolution " in ibid., p. 320. (4) B.R. Ambedkar, " Untouchables or The Children of India's Ghetto " in Dr Babasaheb Ambedkar Writings and Speeches, vol. 5, Bombay, Government of Maharashtra, 1989, p. 101-102.
  • Voir J.­L. Chambard, " Les castes dans l'Inde moderne, leur place dans la vie politique et économique ", Revue économique et sociale, Lausanne, septembre 1967.
  • O. Herrenschmidt, " L'inégalité graduée ", op. cit., p. 14. "
Extrait de Dr Ambedkar, le dernier livre de Christophe Jaffrelot paru aux Presses de la FNSP,2000.
L'action d'Ambedkar n'a été possible que grâce à l'éducation dont il a pu bénéficier.
Aujourd'hui l'enjeu du DACA est bien l'éducation pour tous, à la suite d'Ambedkar les responsables du DACA agissent afin de favoriser l'égalité des chances par l'éducation. Un programme qui s'inspire de la plus pure tradition républicaine et qui ne saurait laisser indifférents les enfants des lois Ferry que nous sommes.
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